Publié le 29/11/2013
Lancée il y a un peu plus d'un mois par Romain Poite à Oyonnax et Grenoble, l'opération « Autour des Arbitres » a repris cette semaine la route des clubs professionnels pour se poser à Brive, puis Clermont-Ferrand. Cette fois-ci, c'est Jérôme Garcès, arbitre de la dernière finale du TOP 14 entre Castres et Toulon, qui est venu à la rencontre des deux clubs. Dans ses bagages (ou plutôt son ordinateur), des séquences vidéo choisies avec soin pour illustrer trois thématiques qui font souvent débat avec les joueurs et entraîneurs, mais également le grand public.
Premier thème, la mêlée et ses nouveaux commandements mis en place cet été, qui ont perturbé plus d'un joueur et quelque peu changé la donne dans nos championnats, où la culture de cette phase de reste indéboulonnable et une valeur primordiale dans la construction d'une victoire collective.
Deuxième thème, le jeu au sol, sans doute l'une des phases les plus difficiles à arbitrer, entre intentions réelles de bonifier et libérer la balle et celles, moins avouables, de diluer les efforts de l'adversaire par un geste ou une parole qui peuvent à tout moment retourner une situation.
Troisième thème, et c'est la grande nouveauté de cette saison 2013/2014, l'extension du protocole d'arbitrage vidéo qui fait régulièrement débat. A la gestion de la décision purement humaine est venue s'ajouter la technologie, accompagnée par un arbitre vidéo (TMO) au champ d'intervention plus large que la saison dernière, et des spectateurs qui jugent eux-mêmes les ralentis via les écrans géants des stades.
La mêlée, l'impact diminué de 25%
Mardi, Jérôme Garcès a ainsi dialogué avec les invités du CA Brive Corrèze Limousin, et plus particulièrement avec le manager, Nicolas Godignon, et le capitaine de l'équipe, Arnaud Méla. Devant environ 150 personnes, les échanges furent très instructifs, marqués en particulier par de nombreuses questions sur la mêlée. Ce fut l'occasion pour Jérôme Garcès de mettre en avant l'arbitrage des mêlées tournées et l'identification des joueurs fautifs, permettant ainsi à l'assistance de mieux comprendre le mécanisme de décision sur cette phase de jeu. A noter l'intervention de Nicolas Godignon, en toute fin de débat, qui souligna que, malgré la frustration que pouvait engendrer un résultat décevant et le sentiment, parfois, de ne pas être en accord avec les décisions de l'arbitre, il ne servait à rien de se répandre dans les media en prenant ce dernier en bouc émissaire.
Le lendemain, c'est le stade Marcel-Michelin qui était le théâtre de l'opération « Autour des Arbitres ». L'ASM Clermont-Auvergne avait mobilisé une centaine d'invités (éducateurs, jeunes arbitres, partenaires, supporters) et mis en place une diffusion en direct sur DailyMotion par le biais de France 3 Auvergne, permettant à de nombreux téléspectateurs d'assister au débat et de réagir via Twitter. Côté club, Jean-Marc Lhermet, directeur sportif, était accompagné par le jeune troisième ligne Arthur Roulin pour commenter les vidéos présentées par Jérôme Garcès, et livrer leur propre ressenti sur l'application et l'interprétation des règles.
Concernant les nouveaux commandements en mêlée, le constat de la Commission Centrale des Arbitres est clair : ils ont permis de diminuer de 25% l'impact. Pour Jérôme Garcès, il est plus simple, grâce à ces nouveaux commandements, de voir le fautif. Mais c'est une phase de jeu qui demande beaucoup d'attention de la part de l'arbitre et qui se divise en 4 phases :
46 regroupements par match en 1980, 180 30 ans plus tard
Plusieurs questions furent posées sur la composition du corps arbitral. Un arbitre doit-il toujours être secondé des mêmes arbitres assistants ? Doit-il être accompagné par un autre arbitre central ? Pour Jean-Marc Lhermet, c'est la communication entre les 3 hommes qui est primordiale, et qu'ils travaillent bien ensemble. Peu importe, finalement, si les trios ne sont pas toujours les mêmes. Jérôme Garcès a lui souligné que l'Afrique du Sud expérimentera très prochainement l'arbitrage central à deux, et qu'il sera intéressant d'en voir le résultat.
Sur la thématique du jeu au sol, les statistiques sont édifiantes. Ainsi, en 1980, on pouvait compter 46 regroupements en moyenne par match. En 2010, soit 30 ans plus tard, cette moyenne est passée à 180 ! Les chiffres de cette saison ne sont pas connus, mais sans doute encore à la hausse. Arthur Roulin, qui n'a pas encore effectué ses débuts en équipe première mais a participé cet été à plusieurs matches amicaux avec l'ASMCA, souligne que les rucks sont forcément travaillés par les 3es ligne à l'entraînement, en particulier les turn-over. C'est en effet une phase clé d'une rencontre, et son arbitrage étant d'une très grande complexité, l'arbitre peut, selon son placement et l'angle de l'action, ne pas en voir l'intégralité.
Place enfin à la thématique du protocole arbitrage-vidéo, qui fait beaucoup débat depuis le début de la saison. Les interrogations se posent principalement sur la justification de se demande par l'arbitre quand l'essai semble limpide. Jérôme Garcès défend ce choix par la volonté, en particulier sur un match au score serré, de confirmer la validité de l'essai et donc de sécuriser sa décision. Reconnaissant que la mise en place a été compliquée en début de saison, l'arbitre international a estimé que le stage de la CCA, organisé à Font-Romeu fin août, après les deux premières journées du TOP 14, a permis de faire le point et de mieux appréhender l'utilisation du protocole par tous les directeurs de jeu pour la suite du championnat.
Et si l'arbitrage vidéo ne convainc pas forcément tous les amateurs de rugby, il est essentiel pour Jérôme Garcès dans le cadre de la prévention de la santé du joueur, prenant pour exemple le plaquage cathédrale dont fut victime Yannick Nyanga l'an dernier contre l'Australie, et qui aurait été sans aucun doute, avec le protocole arbitrage vidéo actuel, sanctionné d'un carton rouge pour le plaqueur. Forcément, le carton jaune infligé au pilier clermontois Thomas Domingo, lors du dernier France/Afrique du Sud, a été au centre des discussions, les invités présents estimant qu'il était injuste et forcément amplifié par la simulation (reconnue par la suite) de Bryan Habana. Pourtant, Jérôme Garcès appuyait la décision de l'arbitre et la confortait en présentant une vidéo IRB expliquant, par un jeu de flèches, le type de carton à infliger à partir du moment où les pieds du joueur plaqué quittent le sol. Et dans le contexte du match contre les Springboks, le carton jaune ne souffrait d'aucune discussion.
Arbitre ? Une vocation !
Outre les explications techniques de Jérôme Garcès, vidéos à l'appui, le débat s'est aussi personnalisé sur le terrain, provoquant quelques échanges très cordiaux mais bien ciblés de la part de Jean-Marc Lhermet, qui a souhaité revenir sur plusieurs décisions sifflées contre l'ASM Clermont Auvergne depuis le début de la saison. Décisions qu'il ne considérait pas forcément justifiées, dont un certain Toulon/Clermont sur lequel officiait… Jérôme Garcès, et qui a donné lieu, les jours suivant la rencontre, à un échange de points de vue entre les deux hommes, comme peuvent le faire tous les clubs en temps normal. Car, ce que le grand public ne sait pas forcément, c'est que ces derniers se voient remettre à chaque match une fiche leur permettant de communiquer leurs impressions sur l'arbitrage de la rencontre, et sur les sanctions qui ont visé leur équipe. La communication existe donc bel et bien entre les parties, Jean-Marc Lhermet reconnaissant d'ailleurs que l'erreur est humaine. Ainsi, tant les entraîneurs, que les joueurs ou les arbitres peuvent en commettre lors d'un match.
Jérôme Garcès a également profité de cette rencontre pour parler du métier d'arbitre, de sa vocation et de l'implication personnelle et professionnelle que cela implique dans son quotidien. Tout comme Pascal Gaüzère, Romain Poite et Mathieu Raynal, qui ont un statut d'arbitre professionnel (lui-même l'est depuis 2010), ce Béarnais pure souche se prépare comme n'importe quel athlète de haut-niveau en alliant entraînement, préparation physique, visionnage des matches et débriefing des rencontres arbitrées. Aux terrains du TOP 14 s'ajoutent les rencontres internationales : à peine le temps de savourer l'arbitrage de sa première finale de TOP 14 qu'il s'envolait pour l'Australie afin de diriger deux rencontres des Lions. Puis ce fut le tour du Rugby Championship. Puis la rentrée du TOP 14, de la H Cup, avec, tout récemment, quelques test-matches dont ce haletant Irlande/Nouvelle-Zélande, où il assistait le Gallois Nigel Owens à la touche. Beaucoup d'émotions, de belles rencontres et de souvenirs, au même titre que tous les joueurs et entraîneurs qui ont la chance de pratiquer au plus haut niveau leur passion. Profitant de sa présence à Clermont-Ferrand, Jérôme Garcès a ainsi prolongé son séjour afin de prodiguer le lendemain ses conseils aux jeunes arbitres du Comité. Il reprendra le chemin du TOP 14 ce week-end pour arbitrer la rencontre Castres Olympique/Aviron Bayonnais.
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