Publié le 30/10/2020
L'ancien pilier australien Dan Palmer (qui avait signé au FC Grenoble Rugby en 2013 avant de finalement mettre un terme à sa carrière) a écrit une émouvante lettre pour le Sydney Herald Morning dans le but de révéler son homosexualité.
Ce témoignage de Dan Palmer nous rappelle le chemin qui reste à parcourir pour promouvoir la différence au sein du collectif dans le sport professionnel et dans la société. C’est tout le sens du programme Célébrons la diversité initié par la LNR.
Voici la traduction de cette lettre :
J’ai ressenti une très forte appréhension à l’idée d’écrire cet article. Rien ne m’obligeait à le faire, et je ne recherche en aucun cas l’attention que celui-ci pourrait susciter. En fait, à ce stade, j’ai l’impression de décrire la vie d’une personne complètement différente, bien que celle-ci ait façonné celui que je suis aujourd’hui, pour le meilleur ou pour le pire. Je ne pense pas avoir une obligation de décrire mon expérience de cette manière ; j’ai plutôt le sentiment qu’il s’agit de quelque chose que je devrais faire, au cas où cela aiderait quelqu’un qui se trouverait dans une situation similaire.
En 2012, je vivais mon rêve d’enfant. J’étais vice-capitaine des ACT Brumbies pendant la saison de super rugby, et je faisais mes débuts avec les Wallabies. Ma vie consistait à pratiquer le sport que j’adorais et à voyager dans le monde entier avec certains de mes meilleurs amis. J’avais noué de nombreuses amitiés fortes, dans le milieu du sport et en dehors, et j’avais une famille aimante, qui était fière de mes réalisations.
Malgré tout cela, j’étais incroyablement frustré, rongé par la colère et désespérément triste. Je méprisais celui que j’étais, et je méprisais la vie que je menais. J’étais pris au piège d’une version de moi-même qui ne me correspondait pas, et je ne voyais pas d’issue. La plupart du temps, le soir, je m’endormais en pleurant et m’abrutissais à grands coups d’opioïdes.
Je rêvais de disparaître, de changer de nom et de recommencer ma vie à zéro. Je n’exagère rien en disant que j’aurais préféré mourir plutôt que laisser quiconque découvrir que j’étais gay.
Après une année de frustration à enchaîner les blessures en 2013, j’ai conclu un nouveau contrat de rugby avec le FC Grenoble, dans le Top 14 français.
Vivre seul dans un pays étranger, dont j’étais incapable de parler la langue, m’a obligé à un degré d’introspection qui m’aurait probablement été impossible si j’étais resté dans ma zone de confort.
Aussi douloureuse qu’elle ait été, mon année en France a été la plus transformatrice de ma vie. En relisant ces quelques phrases, je me rends compte qu’elles peuvent suggérer une sorte de renaissance, un éveil lumineux vers de plus verts pâturages - je vous assure que la réalité était toute autre.
Après avoir fait une overdose d’analgésiques et m’être réveillé dans une flaque de vomi, il était clair pour moi que je m’autodétruisais à toute vitesse et que quelque chose devait changer.
Je n’ai que de vagues souvenirs de ce matin-là, mais après ce qui m’a semblé être une éternité de réflexion, j’ai réservé un vol pour Londres pour rencontrer l’un de mes amis et demander l’aide dont j’avais désespérément besoin.
Des choses étranges restent gravées dans votre mémoire dans des moments comme celui-ci. En quittant mon appartement, le simple fait d’apercevoir mon reflet dans le miroir près de la porte d’entrée a suffi à me faire pleurer en voyant la figure pathétique qui me regardait.
J’ai conduit comme un fou jusqu’à l’aéroport, pensant que si je rentrais dans un arbre, je n’aurais pas besoin de faire ce que je m’apprêtais à faire. Dans l’avion, je me souviens avoir rédigé minutieusement ce que je souhaitais dire à mon ami et avoir longuement répété mon texte dans ma tête, essayant de tenir le coup au milieu de cette anxiété écrasante. Je me souviens d’avoir dit à la personne assise à côté de moi d’aller se faire f----- pour m’avoir poliment demandé d’arrêter de taper nerveusement sur notre accoudoir commun.
En franchissant les portes de l’aéroport de Londres, je me souviens avoir été incapable d’établir un contact visuel avec mon ami, qui a immédiatement su que quelque chose n’allait pas. Je me souviens distinctement avoir été incapable de lui dire quoi que ce soit jusqu’à ce que nous nous asseyions au restaurant, où je me suis mis à pleurer de manière incontrôlable à table pendant de longues minutes avant de lui remettre le texte que j’avais rédigé sur mon téléphone.
Je ne me souviens pas de ce qu’il a dit après avoir lu mon message, mais je me souviens qu’il a tout compris. Il a été la première personne à qui j’ai dit que j’étais gay en 25 ans de vie sur cette planète. En lui disant cela, je me suis soulagé d’un poids que je portais depuis aussi longtemps que je me souvienne. Je lui suis éternellement reconnaissant d’avoir été là pour moi ce jour-là.
Le lendemain matin, j’avais changé d’une manière que je n’avais pas anticipée. Je n’en avais pas conscience jusqu’alors, mais c’était la première fois de ma vie que je me sentais vraiment libre. Peu de temps après, j’ai décidé qu’il fallait que j’arrête de jouer au rugby et que j’entame le chapitre suivant de ma vie.
Ma passion pour le rugby s’étiolait depuis quelques années et j’éprouvais un lourd sentiment de regret à l’idée de gaspiller les meilleures années de ma vie à prétendre être ce que je n’étais pas. Malgré cela, la décision d’arrêter de jouer était effrayante. Je n’avais pas l’impression de posséder des compétences utiles, et je n’avais aucune éducation formelle ni expérience dans un domaine auquel j’étais prêt à me consacrer.
En même temps, j’ai trouvé cette situation extrêmement excitante, parce que c’était l’occasion de changer complètement de direction et de me construire une nouvelle passion. J’ai toujours eu des intérêts en dehors du rugby, et c’était ma chance de poursuivre quelque chose qui me passionnait vraiment.
Au milieu de l’année 2014, j’ai quitté la France pour commencer des études de premier cycle à l’Université nationale australienne de Canberra. Depuis lors, j’ai obtenu un double diplôme en sciences et en psychologie, avec une mention très bien en neurosciences, et je suis maintenant à mi-parcours de mon doctorat, dans le cadre duquel j’étudie les mécanismes cellulaires du fonctionnement du cerveau.
Je n’ai pas de réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi j’ai dû « imploser » pour finalement demander de l’aide à quelqu’un et apporter ces changements à ma vie. Néanmoins, je pense qu’il pourrait être utile de décrire certaines des choses qui me préoccupaient profondément avant de faire mon coming out.
Ce n’est pas que je pensais que mes amis et ma famille ne m’accepteraient pas pour ce que j’étais, je n’ai jamais eu de doute à ce sujet ; ils ont toujours été bienveillants et solidaires envers moi. Je pensais plutôt qu’ils auraient l’impression que je les avais trompés, que j’étais en quelque sorte indigne de leur confiance.
D’une certaine manière, ils auraient eu raison. Même si j’ai rarement eu besoin de mentir directement sur ma sexualité, je n’ai jamais corrigé leurs fausses hypothèses et je les ai laissés créer leurs propres récits, qui masquaient la vérité. J’étais un expert pour jouer le rôle que l’on attendait de moi et maintenir le personnage fictif qui avait été créé.
J’avais mes tactiques pour naviguer sur certains sujets et en éviter d’autres. Je devenais agressif et me mettais sur la défensive lorsque j’avais l’impression de perdre le contrôle d’une situation. Plus je laissais les choses durer, plus il était difficile d’inverser le cycle. Un profond sentiment de honte, difficile à décrire, était également sous-jacent à cette situation.
Le sentiment de ne pas être tout à fait à la hauteur, quelle que soit la manière dont vous agissez ou dont vous vous présentez - pas seulement le sentiment d’être différent, mais d’être différent d’une manière qui fait de vous un être inférieur aux autres. J’ignore comment ce genre de sentiment se manifeste.
Mais d’où qu’il vienne, quelle que soit la manière dont il se développe ou se cultive, il vous incite à cacher votre différence.
Lorsque j’ai commencé ma carrière de rugbyman à Sydney chez les NSW Waratahs à l’âge de 18 ans, il était important pour moi d’être jugé pour ce que je faisais, et non pour ce que j’étais. Être rugbyman professionnel était mon rêve, et on m’avait donné l’occasion de le réaliser dès ma sortie de l’école.
À l’époque, je pensais que si je parlais ouvertement de ma sexualité, il serait difficile de laisser mes performances parler d’elles-mêmes. Je ne sais pas si j’avais raison, mais c’était ce que je ressentais à l’époque, et ce sentiment a persisté tout au long de ma carrière.
Pour être clair, j’ai beaucoup apprécié le temps passé avec les Waratahs puis les Brumbies, auprès desquels j’exerce toujours des fonctions d’entraîneur. Il y avait des gens formidables au sein de ces deux organisations, et beaucoup comptent toujours parmi mes meilleurs amis aujourd’hui.
Je n’ai jamais eu le sentiment d’être directement victime de discrimination, et j’étais à l’aise dans l’environnement du rugby. Comme je l’ai décrit, la bataille était principalement contre moi-même plutôt que contre des pressions extérieures ou des discriminations évidentes.
Bien sûr, le moi que je combattais était en partie le produit d’influences culturelles et sociétales, mais, en y réfléchissant, il serait trop simpliste d’identifier une caractéristique spécifique de l’environnement du rugby qui m’aurait conduit sur la voie que j’ai décrite.
Malheureusement, depuis lors, l’ignorance d’Israël Folau a été révélée au monde. Bien que cela n’a pas été le principal facteur de ma prise parole, plus la saga Folau se prolongeait, plus j’éprouvais le sentiment de devoir dire quelque chose. Pour moi, plus que les dégâts qu’il a causés au rugby, il est important de considérer l’impact profond qu’il a sans aucun doute eu sur les enfants qui l’admiraient et qui luttent chaque jour pour comprendre leur sexualité.
Il ne verra jamais l’impact qu’il a eu sur ces jeunes, mais s’il le pouvait, je doute qu’il puisse vivre avec lui-même. Heureusement, d’après mon expérience du rugby, les opinions comme celle d’Israël sont l’exception, et non la règle. Il a été très encourageant d’entendre un concert de voix éminentes d’officiels et de joueurs de rugby du monde entier condamner sa position, et continuer à militer pour un paysage sportif plus prompt à accepter les différences.
Malheureusement, à ce jour, seule une poignée de joueurs de rugby professionnels se sont sentis suffisamment à l’aise pour déclarer leur homosexualité. Vous vous souvenez peut-être que Gareth Thomas, l’un des plus grands joueurs de rugby gallois de tous les temps, a fait son coming out en 2009. Je débutais alors ma carrière de rugbyman professionnel.
Bien que je n’aie pas eu la force de suivre son exemple à l’époque, les descriptions qu’il a faites de son expérience m’avaient touché, et j’étais inspiré par ses actes. Il s’agit d’un travail de longue haleine, mais nous devons construire une culture, à la fois dans et en dehors du milieu du sport, au sein de laquelle les gens puissent être eux-mêmes, peu importe ce qu’ils sont.
Cela a déjà effleuré mon esprit, et j’y repense maintenant, mais le fait de devoir déclarer ma sexualité devant vous est une chose très étrange. Après tout, aucun de mes amis ne m’a jamais demandé de m’asseoir pour avoir une conversation sérieuse avec moi et me dire qu’il est hétéro - ce serait insensé.
Alors, pourquoi ressens-je le besoin de faire ce qui est essentiellement la même chose ? À l’heure actuelle, c’est évidemment nécessaire - je ne suis pas si naïf - mais lorsqu’un article comme celui-ci sera aussi peu pertinent que son homologue, nous serons un peu plus près du but que nous devons nous fixer.
Nous sommes sur la bonne voie, mais nous n’en avons pas encore terminé.
Je pense que je me rapproche rapidement de mes limites en termes de rédaction, ainsi que des limites de votre attention ; je vais donc en rester là. Bien que j’admette que cela n’ait pas vraiment été une expérience confortable pour moi, j’ai trouvé que la rédaction de cet article a été un exercice utile, et j’ai essayé d’être aussi honnête que possible tout au long de ce processus.
Cela me rend malade de savoir qu’en 2020, il y a encore des gens qui se torturent comme je l’ai fait, que ce soit dans le milieu du sport ou en dehors - nous devons être de meilleures personnes. Si cet article peut susciter une conversation, permettre à certains de se sentir plus à l’aise à l’idée d’être eux-mêmes, ou peut aider quelqu’un à mieux comprendre ce qu’un être cher peut traverser, alors cela aura été une réussite.
Pour conclure, je remercie ma famille, mes amis, mes coéquipiers et mes entraîneurs - vous avez été là pour moi à chaque instant, même sans le savoir.