Publié le 12/11/2010
On parle souvent de famille dans le rugby, est-ce une notion exacte ?
C'est une notion qui est encore exacte aujourd'hui. Peut-être qu'elle aura tendance à se disperser dans le futur, étant donné que le rugby s'ouvre de plus en plus, et que des gens qui n'ont jamais connu le milieu du rugby avant vont l'intégrer. Mais l'esprit famille existe bel et bien, et je pense qu'une équipe, pour devenir championne de France, aura forcément besoin de constituer une famille, et pas une somme d'individus.
Votre film parle de relation père/fils via le rugby. C'est un sujet qui vous touche personnellement ?
Attention : mon film n'est pas autobiographique ! Mais je me suis un peu servi de ce que je ressens avec mon fils de 17 ans pour écrire le scénario. Parfois, je ressens un peu de frustration qu'il ne pense pas comme moi, je bouillonne intérieurement mais je ne dis rien. Pareil quand il rate une action au foot, je ne veux pas lui mettre de pression en plus. Donc il y a une sorte de filiation logique avec mon personnage, je me suis servi de mon expérience personnelle de père comme rampe de lancement pour l'écrire. Mais je suis quand même différent de mon personnage, justement parce que je bouillonne à l'intérieur, mais je ne dis rien…
Le rugby est présent dans la famille Guillard depuis toujours ?
Pas du tout ! J'ai découvert le rugby avec des gendarmes en Martinique. Dans la famille, nous sommes plutôt des footeux invétérés, et j'ai d'ailleurs pratiqué longtemps le foot. Mon père a moyennement compris que je décide de me mettre à fond au rugby, parce que je n'étais pas mauvais au foot, en tant que gardien de but. Mais quand je jouais, mon père se mettait toujours derrière les cages, et il me pourrissait ! Donc au rugby, j'étais peinard, vu qu'il ne connaissait pas les règles…
Qui a été votre père spirituel ?
J'en ai eu deux qui m'ont servi de repères : d'abord, il y a eu Didier Fourtine, mon entraineur en Martinique, au Club Colonial. C'est lui, lorsque je suis retourné en métropole, qui m'a persuadé de continuer à jouer au rugby. Je l'ai retrouvé, 35 ans plus tard, et je l'ai appelé pour lui dire merci. S'il ne m'avait pas convaincu, je n'aurais pas eu cette carrière. Il y a eu aussi Jean-Pierre Launay : lorsque j'étais au STUF, il me disait chaque dimanche : « Toi, va jouer au Racing ». Et c'est ce que j'ai fait.
Mais mon véritable père spirituel, c'est Robert Paparemborde. A l'époque où j'ai signé au Racing, en 1982, je venais de perdre ma mère. Je me sentais seul à ce moment-là. Robert est arrivé peu après, et il s'est pris d'affection pour moi. Sur le terrain comme dans la vie, il a toujours été d'un soutien remarquable, et je lui en suis très reconnaissant.
Comment s'est traduite son influence dans votre approche de ce sport ? Dans ton évolution ?
Je suis quelqu'un qui marche à l'affectif : on me fait confiance, et je me défonce à 200% pour prouver que je mérite cette confiance que l'on me donne. Robert m'a tout de suite donné cette confiance. Vu qu'il était pilier, j'ai plus appris rugbystiquement parlant avec des garçons comme Mesnel, Lafond ou Blanc. Mais humainement, j'ai énormément appris avec Robert. Je voulais sans cesse lui prouver qu'il avait raison de m'accorder cette confiance, je ne pouvais pas le trahir, sans quoi j'aurais été une vraie « truffe » !
Et ça a continué à la fin de ma carrière de rugbyman : il s'est associé avec un businessman pour créer le magazine Drop International, où il m'a fait bosser comme journaliste pendant un an avant de me faire passer rédacteur en chef ! C'est une énorme preuve d'amour, ça !
Donc quand on fait ça pour toi, si tu es un mec réfléchi, tu te donnes à fond pour être à la hauteur.
J'ai une admiration toute particulière pour les piliers, et pas seulement parce que Robert en était un : c'est un boulot très dur, dans l'ombre, et c'est une vraie école de l'humilité. Tu ne peux pas te la raconter lorsque tu es pilier, parce qu'en cinq minutes, tu peux être le plus fort et te faire rétamer aussi vite ! Et puis, le nombre de mêlées qu'ils encaissent, à chaque match, à chaque entraînement, c'est juste monstrueux…
Pour moi, les piliers redonnent du sens au mot humilité, qui est un peu mis à toutes les sauces en ce moment.
Qu'est-ce qui vous a poussé à passer derrière la caméra ?
Il y a eu deux choses : j'ai déjà une petite expérience de scénariste avec Fabien Onteniente (sur « 3 zéros », « People » et « Camping », NDLR), donc j'ai eu l'occasion de visiter quelques plateaux de tournage.
Et puis, lorsque j'ai écrit mon bouquin (« Petits bruits de couloir »), on m'a souvent demandé : « Mais pourquoi tu n'en écris pas un autre ? », et je ne voyais pas quoi raconter d'autre sous la forme d'un roman. Par contre, j'avais plus envie de raconter ça derrière la caméra. Le cinéma me permet de partager cet univers du rugby, qui m'a construit pendant des années, au plus grand nombre possible.
Mais je n'avais pas le courage de m'y mettre, parce que réaliser un film, c'est se mettre en danger. Imagine si je me rate, on va se moquer de moi pendant trois ans dans la rue !
Et puis Olivier Marchal et Cyril Colbeau-Justin (producteurs du film) ont lu le scénario, et m'ont poussé à passer derrière la caméra. Ca faisait 8 ans que j'avais écrit le scénario, Gérard Lanvin était déjà d'accord pour le faire. Il a suffi que je l'appele pour qu'il me dise oui à nouveau.
Le cinéma, c'est une passion au même titre que le rugby ?
Ce sont deux univers qui n'ont rien à voir. Le cinéma, je n'étais absolument pas prédestiné à ça. J'ai commencé à écrire à 25 ans, j'ai zéro référence littéraire. Pourtant, le cinéma, à un moment de ma vie, a révélé ma sensibilité. J'allais beaucoup au cinéma, parce que j'aimais bien être dans ce lieu, manger ma glace ou mon pop-corn et ne penser qu'au film que je regardais.
Depuis que j'ai commencé à écrire, je regarde le cinéma différemment. Mais depuis toujours, j'aime voir de belles histoires, ou des films comiques, avec des personnages auxquels je pouvais m'identifier. Je suis beaucoup plus sensible à des histoires d'amour ou d'amitié qu'à des films d'action, certes très bien faits, mais où les personnages ne sont pas des gens que je connais ou que je pourrais rencontrer !
Mon film de chevet, c'est « Il était une fois en Amérique », de Sergio Leone. Cet homme-là a fait des films qui ont marqué l'histoire du cinéma. Et puis, ces grandes fresques, où tous les sentiments humains y passent, l'amour, l'amitié, la mort, la trahison… C'est comme dans la vie, c'est ce que j'aime !
« Forrest Gump », c'est une histoire incroyable, je l'ai vu 7 ou 8 fois ! Il y a aussi « Out of Africa », « Love Story »… Après, il y a des films comme « Casino », où je suis sensible au travail qui est réalisé. C'est monstrueux tellement tu t'y crois ! Mais je ne suis pas sensible à l'histoire ou aux personnages de ces films.
On parle de « famille du cinéma », qu'en pensez-vous ?
Par rapport au rugby, ce n'est pas une famille ! A la rigueur, il y a quelques petits groupes qu'on peut appeler famille, comme celui que l'on forme avec Gérard Lanvin et Olivier Marchal.
Le problème, c'est que le cinéma est un art subjectif : si ton film est un échec, tu peux toujours prétexter que les gens n'y ont rien compris, et que dans 20 ans, ce sera un film culte – ce qui est arrivé à de nombreux films, d'ailleurs ! Dans le cinéma, il y a beaucoup d'egos exacerbés par la réussite, l'argent… Et l'humilité ne va pas avec cela.
Au rugby, les egos sont calmés par le collectif : sans les autres, tu n'arrives à rien. Les rapports sont donc plus francs.
Durant le tournage, vous aviez en permanence un ballon de rugby avec toi. Pourquoi ?
Au départ, je m'en suis servi comme d'une balle antistress. J'avais ça dans la main, et ça me faisait du bien.
Et puis c'est vite devenu un jeu avec le reste de l'équipe. On se passait le ballon, et qui dit passe, dit transmission, dit partage, dit : on est tous à la même hauteur. Le ballon circulait de l'acteur au machiniste, en passant par l'électro, l'actrice, le cadreur… Ca a crée un lien entre tous les membres de l'équipe. On a créé une ambiance, un univers lors de ce tournage.
Ca a aussi permis de faire découvrir le rugby à ceux qui ne le connaissaient pas. Petit à petit, tout le monde s'est pris au jeu, et certains ont commencé à claquer des drops alors qu'ils n'avaient pas touché un ballon deux semaines avant ! C'est devenu notre mascotte, un truc sacré : si je l'oubliais quelque part, un membre de l'équipe se dépêchait d'aller le chercher.
La marque du ballon (Gilbert), c'est aussi le prénom d'un de mes oncles, aujourd'hui décédé. Donc avoir ce ballon, c'est aussi avoir mon oncle à mes côtés, quelque part…